Viennent les cloches, sonne l'heure...
Au fil de mes pérégrinations dans les archives paroissiales, je me suis rendu compte que le carillonnage clergesque était une activité ô combien importante, bien plus que ce que l'on imagine... Et que nos chers hommes de foi pouvaient devenir de vrais petits diables si l'on s'avisait d'empiéter quelque peu sur leurs prérogatives de campanistes.
En 1884, c’est le curé François
Chavanne qui officie sur la commune. Né en 1840 à Orcier, il est ordonné prêtre
en 1863, et prend son office en 1883 dans la paroisse de Vanzy après avoir
exercé à la Vernaz. Il fut transféré en 1887 à Saint-Sigismond. Les archives
paroissiales conservées au diocèse[1]
nous livrent un dossier complet sur ses « prouesses » lors de son
court passage dans ce pays.
On
apprend par un courrier du préfet de Haute-Savoie à l’intention de l’évêque du
diocèse, que la quiétude de la communauté a été troublée lors de la fête civile
patronale. En effet il semblerait que le 3 août, le curé Chavanne se soit violemment
opposé au garde-champêtre qui venait sonner les cloches sur demande du maire,
alors que cela était « l’usage dans
la commune de sonner les cloches pour la fête patronale, aussi bien pour la
partie civile que pour la partie religieuse ». Le curé se déclare être
la « police des clochers »,
et prétend que le maire aurait menacé le garde-champêtre d’être renvoyé s’il n’allait
pas sonner ; le maire et le garde-champêtre nient toute menace de l’un sur l’autre,
et déclarent qu’il a toujours été d’usage de sonner les cloches pour les deux
célébrations, religieuse comme civile. Les deux protagonistes s’en plaignent à
leurs supérieurs hiérarchiques, préfet et évêque, qui en viennent à s’opposer
également sur la question. Le préfet a finalement gain de cause, ainsi que le
maire et son droit de carillonner pour la fête patronale civile.
Le
curé Chavanne est décrit par son homologue de Frangy comme un homme « violent par caractère, il a des
surexcitations que l’on peut croire produites par l’intempérance, ce qui n’est
pas toujours vrai ». Celui-ci avait découvert par ailleurs que
Chavanne était criblé de dettes, et que malgré les arrangements pris par sa
famille pour régler sa situation, il avait poursuivi « ses dépenses exagérées » par la
suite, s’enfonçant dans une situation d’endettement sérieuse, à force d’emprunter
aux banques de Frangy, d’Annecy, et même à ses paroissiens... « Emprunt »
parfois d’un peu trop longue durée, comme en témoigne un courrier de novembre
1887[2] du
trésorier de la Fabrique, Mr Laplace, à l’intention du vicaire général, le
sommant de faire prévenir Chavanne que les 200 francs qu’il avait emprunté en
1886 et devait rendre alors sous 15 jours étaient toujours dus, et qu’il en
attendait un prompt remboursement malgré son départ de la paroisse...
La cohabitation entre ce prêtre et la communauté de Vanzy fut électrique durant
les cinq années de son office tant ses interactions avec le conseil municipal et
les habitants étaient tendues, et ce même dans ses relations de voisinage[3] :
en 1886, la veuve de Joseph-Benoît Cadet informe par courrier l'évêque de son
procès intenté contre Chavanne, puisqu'il
a décidé de bloquer un an auparavant l'écoulement des eaux venant de sa maison
et passant par la cour de la cure, de sorte qu'à la fin de l'hiver, les
bâtiments Cadet se trouvent inondés par les eaux qui ne s'évacuent plus.
L’escalade
fut rapide. Dès 1884, la commune décida de ne plus accorder de subventions au
conseil de Fabrique tant que Chavanne était là : faute de traitement, après
presque deux ans de patience, le clerc démissionna le 2 janvier 1886, et aucun
autre ne voulu prendre la suite et officier gratuitement. On trouve également des courriers du préfet défendant le
maire auprès de l’évêque, alors que le maire s’oppose à l’attribution de fonds
pour les réparations de l’église tant que Chavanne serait en fonction.
D’autant
que Vanzy n’était pas la première paroisse où son attitude sema le trouble,
comme on l’apprend dans un nouveau courrier du préfet à l’évêque en mai 1887 : « Mr l’Abbé Chavanne, cela est malheureusement
trop certain, a échoué à Vanzy comme précédemment déjà à la Vernaz, où il s’était
attiré également l’antipathie générale ». Un dernier courrier de l’évêque
au curé possède comme titre « Curé
Chavanne, exhorté à quitter le diocèse », et lui signifie les choses
en ces mots : « Votre présence à
Vanzy est donc nuisible à l’esprit de la religion et à la foi des gens de cette
paroisse et des environs ».
Ainsi fut fait, le dictionnaire de Rebord nous apprend
que Chavanne fut muté à Saint-Sigismond pour dix-huit mois, avant d’être envoyé
dans le diocèse de Nice. Malheureusement, il ne dû pas modifier ses
comportements, puisqu’en 1897, il est dit « frappé de suspense par l’évêque d’Annecy ».
Après lui, le curé
Bussat réussit a priori à gagner la sympathie du village « en faisant preuve de patience et de
bienveillance ». Le curé Chavanne parti, le conseil municipal débloqua
les fonds nécessaires pour le conseil de Fabrique, et les réparations tant
attendues de la cure et surtout de l’église et de son clocher furent enfin
entreprises.
Mais après le décès rapide et
certainement inattendu du révérend Bussat le 25 juillet 1888[4],
alors âgé de seulement 40 ans, son successeur, l’abbé Berlioz, sembla plutôt suivre
les traces de Chavanne et l’histoire se répète : de nouveau, l’usage des
cloches par la municipalité pour les fêtes civiles du 14 juillet et du 3 août
cause problème, de nouveau un curé agresse un garde-champêtre, mais cette
fois-ci physiquement, puisque l’abbé Berlioz sera condamné à l’issue d’un
procès pour « voies de fait et
violences légères », à une amende de la valeur de 2 journées de
travail, soit trois francs. De nouveau, le préfet suggère à l’évêque qu’il
pourrait être judicieux d’assigner l’abbé Berlioz en une autre résidence... Ou
à défaut, de « le rappeler au
respect des lois et règlements ».
L’abbé Huissoud, qui pris la suite, n’était
pas en reste : d’après les courriers, il se mêlait un peu trop de la politique
de la commune et de ses élections, attisait les rancœurs et oppositions, menant
même à des rixes physiques et violentes entre villageois.
En 1897, un comité d’habitants
de Vanzy s’unit pour aller déposer plainte contre lui, l’accusant d’avoir
divisé et manœuvré secrètement, attisant les colères et la haine entre les
habitants, ne manquant pas d’utiliser sa chaire comme tribune politique. Ils
écrivaient que l’abbé faisait montre de peu de respect à l’égard d’une grande
partie des paroissiens n’étant pas de son avis politique, tout en proférant des
insultes qui ne nécessitaient disait-on, aucune mention nominative pour être
tout de même comprises des intéressés. Le comité suppliait donc l’évêque d’intervenir,
expliquant clairement qu’ils avaient déjà cessé d’aller à l’office paroissial,
pour ne plus subir les insultes et la violence du prêtre et de ceux qui le
soutiennent. La pétition est conclue de la sorte : « Il ne faudrait pas pour un curé faire perdre la religion catholique et
détourner de leurs devoirs religieux une bonne partie de cette paroisse, parce
que tant que l’Abbé Huissoud restera à Vanzy, nous refusons de faire nos
devoirs religieux, de fournir le pain bénit à l’église où nous ne voulons plus
mettre les pieds ».
C’est sans équivoque !
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