L'intérêt des Mutations par Décès



Dans toutes les recherches généalogiques, il y a des fantômes, ces personnages insaisissables, qui disparaissent sans laisser de trace dans les actes, et que l'on ne retrouve que par hasard, au gré des indices et des années. Rose était pour moi l'une d'entre elles. Un spectre de mes recherches généalogiques pendant des années, jusqu'à la consultation de l'acte de Mutation par Décès de son père.


La destinée de Rose fut complexe à découvrir pour la néophyte de la généalogie que j'étais à l'époque. Absolument pas mentionnée dans les courriers de sa sœur Françoise adressée à leurs parents, absente des décès d'Injoux, Vanzy, Corbonod, même Lyon... Tous ces villages où les membres de la famille ont vécu... Insaisissable. 

C'est donc seulement des années (et des études) plus tard, en étudiant l'acte de Mutation par Décès[1] de son père Pierre, que trace fut retrouvée de cette jeune fille. On y apprend qu'en 1889, elle est mariée à Désiré Déjonquet, marchand ambulant à Paris, où elle réside, 13 rue Tanger. L'acte, lui, était consultable aux AD74 à Annecy. Il "suffit" de connaître la date et le lieu de décès de la personne concernée, afin de consulter la table des Successions et Absences (TSA), puis de relever sur celle-ci les dates et N° des déclarations de successions/dons/legs, et d'aller consulter les actes correspondants dans le registre d'inscription des Mutations par Décès.





Une fois cette piste saisie, il fut aisé de découvrir qu'elle est arrivée à Paris avant 1874, année où elle met au monde à Paris 9ème sa première fille, Adèle Emélie Irma[2], initialement enregistrée sous le patronyme de Délétras, car illégitime. Née le 24 septembre 1874, l'enfant ne sera pas reconnue par sa mère avant le 15 décembre[3]. Rose est dite passementière[4] dans ces deux actes. 


Au vu de notre étude précédente, qui dit enfant illégitime dit possiblement enfant abandonné ou placé, et effectivement, ce fut le cas : dans le répertoire d'admission des enfants assistés de la Seine[5], nous trouvons l'admission d'Adèle au mois de décembre 1875, sous le N° matricule 55662. L'inventaire des dossiers individuels mis en ligne également, permet de retrouver assez facilement la cote du registre contenant son dossier d'admission[6], et un camarade parisien eut la bienveillance d'aller le prendre en photo directement aux archives. 


Ce dossier nous apprend qu'au cours de l'année 1875, Rose avait placé sa fille en nourrice chez la famille Damiens, à Pommier, commune du Pas-de-Calais à 164 km de Paris et 18 km d'Arras. Elle devait leur verser une pension chaque mois pour subvenir aux besoins de son enfant. Mais quelques temps avant août 1875, Rose cesse tout paiement. Les époux Damiens protestent, et Rose qui alors était embauchée chez Mr Gallois, cité de l'Est, 11 boulevard de la Chapelle, promet de leur verser rapidement un acompte, puis de les délivrer de la charge de son enfant. 


Cependant, il semblerait qu'elle n'en ai rien fait : les documents indiquent qu'elle ne serait restée que trois semaines chez ce Mr Gallois, avant de disparaître corps et biens sans laisser d'adresse. Qu'est-elle devenue pendant ce temps ? Les Damiens, bien embêtés, et certainement pas bien riches, ne pouvaient assurer la subsistance de cette enfant et ont sommé le préfet de faire quelque chose, laissant l'enfant en état d'abandon chez eux. Ordre est donné de retrouver Rose, sans succès. 


Adèle est alors déposée provisoirement à l'hospice d'Arras où elle reste d'octobre à décembre 1875 avant d'être admise au Service des Enfants Assistés de la Seine de Béthune le 3 décembre. Elle dû être ensuite placée dans une nouvelle famille nourricière par le Service, car on retrouve grâce à Filae, son acte de décès à peine un mois plus tard, le 3 janvier 1876[7], à Roquetoire, village à 28 km au Nord de Béthune, où elle était placée chez Siméon Gouget. 


Son histoire ne s'arrête pour autant pas là, puisque Rose réapparaît dans les registres de Paris le 28 septembre 1876[8], pour contracter mariage avec Désiré de Jonckheere, émigré belge présenté comme journalier, et ensemble, ils reconnaissent comme leur fille et souhaitent légitimer la petite Adèle. Aucune mention n'est faite de son décès... Etaient-ils seulement au courant ? 

Où était donc passée Rose ? Comment n'a-t-elle pas été mise au courant du décès de sa petite Adèle ? Comment l'ont-ils appris par la suite ? Tant de question qui peut-être ne trouveront jamais réponse.  Tenter de retracer le parcours de Rose entre août 1875 et septembre 1876 est un objectif que j'aimerais pouvoir atteindre.


Suite à ce mariage, Rose et son époux ont sept garçons, dont les trois premiers décèdent chez eux, en bas-âge. La recherche Filae pour le décès d'Adèle avait permis de repérer également le décès d'un de ses frères, également placé en nourrice, et décédé à 15 jours de vie, dans l'Aisne.


La famille habite 7 rue Tanger dans le 19ème arrondissement de Paris, de leur mariage en 1876 à la naissance des jumeaux en 1877. Pour la naissance de François en 1878, ils sont dit habitants du 33 rue du Château Landon, à Paris 10ème. On les retrouve à nouveau  au 7 de la rue Tanger pour les naissances de Désiré, Clovis et François Dominique entre 1880 et 1885. Eugène Victor, lui, naît quatre numéros plus loin, au 13 de la rue Tanger, nouveau domicile de ses parents.


Seuls Désiré et François Dominique sortent de l'enfance, mais François décède finalement à l'âge de 18 ans, le 24 janvier 1904[9], en étant dit "tailleur de pierre". Dans cet acte de décès, Rose est annoncée comme décédée, mais son acte de décès est introuvable dans les tables décennales parisiennes entre 1892 naissance de son dernier enfant et 1904...


Son époux s'éteint, veuf, le 14 septembre 1908[10]. Le décès de leur fils Désiré est trouvable en mention marginale de son acte de naissance, et la mairie de Gagny fut assez prompte pour expédier l'acte. On y apprend qu'il est décédé célibataire et sans enfant, à l'âge de 87 ans, retraité, sans mention de sa profession passée. Les registres militaires parisiens [11] nous apprennent qu'il est inscrit en liste complémentaire, de profession de potier d'Etain, et que sa mère était déjà décédée en 1900, histoire de réduire encore un peu la fourchette de recherche pour mettre la main sur ce décès. Cette fiche permet de suivre jusqu'en 1929 les déplacements de domiciles successifs de Désiré en région parisienne, et d'avoir un aperçu de son parcours lors de la Grande Guerre.


Reste le dernier de leurs enfants, Eugène Victor, certainement décédé en bas-âge puisque absent des listes de recrutement militaire de tous les bureaux parisiens pour les années 1911, 1912 et 1913, vérifiées par acquis de conscience, mais également complètement absent des tables décennales de tous les arrondissements parisiens. Filae en dernier recours, reste également muet à son sujet. Il est difficile à l'heure actuelle d'en savoir plus, étant dans l'impossibilité de consulter les TSA parisiennes en ligne.

Eugène Victor de Jonckheere devient dès lors mon nouveau personnage insaisissable dans cette grande traque généalogique...

 

Personne

Date de naissance

Lieu de naissance

Date de décès

Lieu de décès

Âge au décès

1.

Adèle Emélie Irma de Jonckheere  

24/09/1874

Paris 9

03/01/1876

Roquetoire, Pas-de-Calais

15 mois

2.

Auguste de Jonckheere  

04/10/1877

Paris 19

21/10/1877

Paris 19

17 jours

3.

Henri François de Jonckheere  

04/10/1877

Paris 19

19/10/1877

Paris 19

15 jours

4.

François de Jonckheere  

23/12/1878

Paris 10

31/12/1879

Paris 10

1 an

5.

Désiré de Jonckheere  

16/10/1880

Paris 19

06/03/1968

Gagny, Seine-Saint-Denis

87 ans

6.

Clovis Alexandre de Jonckheere  

31/03/1884

Paris 19

15/04/1884

Chassemy, Aisne

15 jours

7.

François Dominique de Jonckheere  

10/05/1885

Paris 19

24/01/1904

Paris 19

18 ans

8.

Eugène Victor de Jonckheere  

28/09/1892

Paris 19

?

?

?



[1] AD74 - Mutations Par Décès - 3 Q 5809

[2] Etat-Civil de Paris - V4 E 3507 - 25/09/1874-5/10/1874 - image 2

[3] Etat-Civil de Paris - V4 E 3508 - 28/11/1874-19/12/1874 - image 26

[4] Métier consistant en la fabrication d'ornements textiles tissés ou tressés, destinés à la décoration ou à l'habillement.

[5] Etat-Civil de Paris - D3X4 35 - D à E - image 3

[6] Etat-Civil de Paris - D5X4 385

[7] AD59 - Roquetoire - An II-1894 - 5 MIR 721/4 - image 1508

[8] Etat-Civil de Paris - V4 E 4951 - 21/09/1876-7/10/1876 - image 17

[9] Etat-Civil de Paris - 19 D 146 - 20/01/1904-9/02/1904 - image 30

[10] Etat-Civil de Paris - 19 D 167 - 10/09/1908-6/10/1908 - image 30

[11] Registres Matricules de la Seine - D4R1 1151 - Matricule 2954


Crédit photographique : tirée de ma production personnelle.

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